03 décembre 2006

Sarkozy candidat : trahison d'un secret de Polichinelle

Comment faire de sa candidature, à laquelle Nicolas Sarkozy se prépare depuis 4 ans, un évènement médiatique ? L’échec d’une annonce éventée a suscité la critique mais n’a pas empêché une couverture massive et multimédia.

Depuis 2002, la France savait à quoi pensait Nicolas Sarkozy en se rasant, et "pas seulement". Le président de l’UMP avait annoncé au JT de TF1 du 23 novembre qu'il ferait sa déclaration dans la semaine. L’unique inconnue était donc la forme d’une annonce dont on sait qu’elle peut avoir des conséquences importantes sur le sort des candidats. Les ratés d'Edouard Balladur, de Raymond Barre ou de Lionel Jospin constituent en la matière de funestes précédents. M. Sarkozy a tenu ces derniers jours à maintenir le suspense autour d'une annonce dont il voulait qu'elle soit un acte fondateur, le point de départ d'une nouvelle relation avec les Français, promettant "quelques surprises".
Valérie Giscard d’Estaing avait annoncé sa candidature en 1974 depuis Chamalières, dans le Puy-de-Dôme. En déplacement dans le Pas-de-Calais, Jacques Chirac avait quant à lui accordé en 1994 un entretien au quotidien La Voix du Nord, y ajoutant au dernier moment sa décision de "clarifier la situation". En 2003 c'est en Avignon que le Président de la République se portait officiellement candidat à sa réélection.

Fort de l'expérience de ses aînés, Nicolas Sarkozy et son équipe ont concocté une annonce provinciale et néanmoins spectaculaire : un entretien à six représentants de la presse quotidienne régionale (PQR), répercuté dans 60 titres à un potentiel de 18,5 millions de lecteurs. Les conseillers du président de l'UMP ont attribué au patron de La Montagne, Jean-Pierre Caillard, la paternité de l'idée, soufflée à Brice Hortefeux, principal conseiller de M. Sarkozy et conseiller régional d'Auvergne. Mercredi 29 novembre, le Ministre de l'Intérieur a livré le scoop à Ouest France, l'Est républicain, la Montagne, l'Alsace, la République du Centre et l'Yonne républicaine, au siège de l'UMP. Les journalistes ont rédigé l'interview qu'ils devaient ensuite proposer à l'ensemble des titres de la PQR, et ne pas divulguer avant 2h du matin. L'équipe de communicants de M. Sarkozy était dubitative quant cet embargo. Moins de deux heures après que le ministère de l'intérieur eut envoyé ses corrections, Libération publiait sur son site Internet l'intégralité de l'entretien. En quelques minutes l'annonce était officialisée, sur le Web puis aux journaux de 20h, le jour de l'anniversaire de Jacques Chirac, comme ne le souhaitait pas M. Sarkozy.

Certains grands quotidiens de province n'ont pas apprécié d'avoir été évincés du premier cercle des interviewers et plusieurs éditorialistes ont critiqué des "méthodes cavalières". Le Syndicat national des journalistes a dénoncé cette "opération de communication" et la mutualisation de la propagande organisée, l'intérêt des patrons occultant l'indépendance des titres. Une mascarade autour de ce que beaucoup, tel Gérard Noël de La Liberté de l'Est, considèrent être "un secret de Polichinelle". Les communicants du président de l'UMP se félicitent néanmoins de ce "coup". Malgré les fuites, ou grâce à elles, l'exposition médiatique a été maximale pour le candidat Sarkozy.



Caroline Cartier - "Cartier libre" du 30/11/06, France Inter


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